Ne retournez pas la terre de votre jardin en automne

Véritable sabotage, le retournement de la terre en automne est une technique contre productive au jardin. Que ce soit au potager ou au jardin d'ornement, cette pratique bien ancrée s'avère catastrophique pour le fragile équilibre du sol. Voyons ensemble les dégâts qu'elle engendre et surtout comment s'en passer.

Ne retournez pas la terre de votre jardin ou de votre potager en automne
Ne retournez pas la terre de votre jardin ou de votre potager en automne © Larisa - stock.adobe.com
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Le sol, un système complexe

Le sol ne doit pas être considéré comme un simple substrat de culture, mais comme un écosystème vivant à part entière se déployant sur plusieurs strates.

En surface, la pédofaune (micro-organismes du sol) s'occupe du premier travail de réduction de la matière organique pour la rendre disponible aux champignons et bactéries qui la transformeront en humus fertile dans les 10 à 15 premiers centimètres de terre. Dans cette zone, où l'air circule en abondance, les bactéries aérobies et les champignons exécutent un travail de l'ombre indispensable à la présence de nutriments pour les plantes dans le sol.

Plus en profondeur dans la terre, c'est le royaume des bactéries anaérobies qui ne peuvent subsister que si l'oxygène est absent ou en quantité très limitée. Ces bactéries spécifiques participent aux cycles biogéochimiques, elles terminent le cycle de l'azote par la dénitrification du sol et rendent cet élément essentiel à la croissance disponible pour les plantes. Par fermentation anaérobie, elles transforment la matière organique en composés tels le méthane, le dioxyde de carbone ou l'hydrogène. Elles participent également au cycle du soufre, à la séquestration du carbone et à la formation d'un humus stable.

Grâce à l'action des micro-organismes, des racines et des vers de terre, un sol équilibré et vivant se comporte comme une éponge capable de retenir l'eau de pluie et d'absorber de l'oxygène. Des échanges gazeux complexes y ont lieu, un réseau mycorhizien complexe s'y étend pour créer une symbiose vitale entre les végétaux par leurs racines.

Impact du bêchage

Sachant cela, on comprend mieux pourquoi le fait de retourner le sol constitue une véritable catastrophe. Tous les éléments vivants que nous avons cités précédemment sont bouleversés. Les bactéries aérobies, qui ont besoin d'oxygène, se trouvent enterrées dans des zones où cet élément n'est pas disponible. À contrario, les bactéries anaérobies, qui ne peuvent survivre dans un univers oxygéné, s'y retrouvent exposées. En un simple coup de bêche, nous donnons la mort à tout ce petit monde invisible, mais nécessaire à la fertilité du sol.

Les vers de terre sont également touchés. Ces véritables motoculteurs aèrent la terre et permettent une meilleure circulation de l'eau et de l'air, mais ce n'est pas tout ! En ingérant la terre, ils l'enrichissent en nutriments grâce à leurs déjections. Les vers de terre opèrent un travail de restructuration des sols et de maintien de ses équilibres sans en perturber sa nature.

Lors du labour, ces invertébrés sont propulsés à la surface, leur habitat est détruit ainsi que leurs galeries. L'automne, tout comme le printemps, sont des périodes propices à leur reproduction. Après l’accouplement, le ver fabrique un cocon grâce à son clitellum (l’anneau plus clair sur son corps). Ce cocon contient de un à 5 œufs en moyenne, parfois jusqu’à 10 selon les espèces. Il est déposé dans la terre, à quelques centimètres de profondeur, là où l’humidité est stable. Les petits vers vont se développer à l'intérieur de ce cocon durant 3 à 8 semaines selon la température et l’humidité. S'il fait trop froid ou trop sec, ce développement peut s’interrompre et reprendre seulement quand les conditions redeviennent favorables. Après l'éclosion, les jeunes vers se nourrissent de matière organique en décomposition et atteindront leur maturité sexuelle en 2 à 12 mois selon l'espèce et les conditions climatiques.

En moyenne, un ver de terre vit entre 3 et 8 ans. Le retournement du sol provoque la mort des cocons et empêche donc la reproduction de ces êtres essentiels à la qualité de la terre. Sans oublier que les vers adultes exposés à la surface deviennent des proies faciles pour leurs prédateurs.

Les micro-organismes sont nombreux dans le sol et participent à sa qualité
Les micro-organismes sont nombreux dans le sol et participent à sa qualité © A l'aide l'IAAu Jardin

L'eau, une composante essentielle du sol

Un sol sain, vivant et équilibré comporte une capacité de capillarité importante. C'est-à-dire que les micro canaux créés par les racines et les vers de terre permettent à l'eau stockée en profondeur de remonter vers la surface par capillarité et d'alimenter au passage les racines des végétaux.

Cette fonction est cruciale, notamment lors des périodes de sécheresse. Lorsque la terre est retournée, les canaux sont brisés et le système d'approvisionnement en eau souterraine est alors détruit.

En résulte un craquèlement de la terre sur sa couche superficielle qui s’asséchera beaucoup plus rapidement et obligera le jardinier à arroser de plus en plus souvent.

L'humus, l'or noir malmené

Dans l'humus, tous les nutriments essentiels aux végétaux sont stockés. Cet humus est issu de la décomposition de la matière organique tombée en surface. Lors du labour, la matière organique, qui aurait dû être décomposée en surface, est enfouie, provoquant une oxydation et le développement de dioxyde de carbone qui va s'échapper dans l'atmosphère. Chaque labour implique une perte considérable d'humus, dont la couche au fil des ans disparaît peu à peu. Et sans humus, pas de sol fertile !

Le mycélium, un réseau essentiel

Les champignons forment un dense réseau de filaments entrelacés qui parcourt le sol : les hyphes. Ce réseau relie les plantes entre elles et permet la circulation d’eau, de nutriments et même de signaux chimiques en tissant une relation symbiotique avec les racines. C'est ce que l'on nomme la mycorhize. Le mycélium prolonge les racines et va puiser les nutriments là où les racines ne peuvent accéder.

En échange, la plante, par sa photosynthèse offre les sucres qu'elle produit aux champignons. Cette véritable toile souterraine aide donc à nourrir les plantes et à les rendre plus résilientes face aux conditions climatiques et aux diverses attaques.

Lorsque le mycélium est dense et étendu, les végétaux grandissent plus vite et sont plus sains. Mais lors du retournement du sol, tout ce processus est détruit. Nous privons les végétaux de cette relation symbiotique essentielle, d'autant que la mise en place d'un tel réseau prend énormément de temps.

Chaque acte de bêchage profond constitue donc un énorme pas en arrière.

Les méfaits d'une terre laissée à nu

Après le labour, la terre est laissée à nu, elle n'a plus sa couche protectrice de végétaux ou de feuilles mortes et de débris végétaux. Durant l'hiver, sans couvert végétal protecteur, le phénomène d'érosion provoqué par le vent et les pluies sera à son comble emportant les nutriments et l'humus restant. Le lessivage suivra avec les fortes pluies printanières sur ce sol sans protection emportant les nutriments. Le retournement du sol participe à sa pauvreté et son infertilité. Par ce geste, nous transformons la terre en désert sans vie.

Alors pourquoi les gens retournent-ils la terre ?

Il est des traditions bien ancrées qui perdurent malgré une inefficacité aujourd'hui prouvée !

Agir contre les mauvaises herbes

Un des arguments serait de se débarrasser des herbes sauvages et d'enfouir leurs graines en profondeur, là où elles ne pourront pas germer. Sauf que les couches plus profondes du sol constituent alors une énorme banque de graines en dormance, qui grâce au retournement du sol trouveront des conditions propices à leur germination. Par cette technique, nous aidons donc au développement printanier de ces fameuses 'mauvaises herbes' que nous sommes censés combattre.

Eclater les mottes avec le gel

Autre croyance, seulement valable dans les régions où les hivers sont rudes : le mythe du gel salvateur. L'effet du gel ferait éclater les mottes de terre laissées à nu, et au printemps le sol sera plus meuble et facile à travailler. Cette technique n'est envisageable que si la terre est très argileuse, mais dans la majorité des cas, elle est contre productive, car la terre malmenée est laissée à nu, va la plupart du temps se transformer au printemps en un ensemble compact engorgé d'eau qui va se tasser et se craqueler en séchant dès les premiers beaux jours. Cette couche de surface dure comme du béton va empêcher la circulation de l'air et de l'eau et rendre la vie quasiment impossible aux micro-organismes.

Autre souci, les graines auront bien du mal à germer dans un tel sol, les plantes produites seront chétives ou plus sensibles aux maladies.

Comment se passer du labour automnal du sol ?

La réponse est simple : il suffit de s'inspirer de la nature qui offre une couverture constante au sol. La terre n'est jamais retournée et laissée à nu dans les forêts, les sous-bois, les clairières ou les prairies. Pourtant la terre demeure meuble, humide et équilibrée. Les végétaux y poussent en abondance. Le sol est constamment couvert et nous devons en tirer des leçons.

Du paillage

La solution consiste donc en un épais paillage fait de matière organique comme du fumier, des feuilles mortes, du compost ou des débris végétaux broyés. La terre sera ainsi protégée en hiver du vent, du gel, et de l'érosion. Cette matière organique se transformera grâce à l'action de la pédofaune préservée et des micro-organismes en un humus fertile pour les cultures au printemps.

Des engrais verts

Il est également possible de semer des engrais verts qui aideront à nourrir et structurer le sol. Les engrais verts sont semés en interculture afin de ne pas laisser le sol à nu et de l'améliorer. Ces plantes, comme la moutarde, la phacélie, le trèfle, la vesce ou le seigle, selon leurs caractéristiques techniques, vont aider à fixer des nutriments, à aérer et structurer le sol naturellement et en douceur par leurs racines pivotantes. Elles seront ensuite utilisées comme paillis, ou broyées pour servir d'engrais en se décomposant. Cette méthode facile à mettre en place s'avère d'une redoutable efficacité quant à l'amélioration d'une terre malmenée.

Article rédigé par Iris MAKOTO

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